Vito Rizzuto et la mafia canadienne auraient eu des milliards à investir dans le pont de Messine

André Cédilot

Ce sont des milliards de dollars que la mafia canadienne, avec à sa tête Vito Rizzuto, était prête à investir dans la construction du pont du détroit de Messine, qui doit relier la Sicile et la Calabre, à la pointe sud de l'Italie.

C'est du moins ce que laissent croire des extraits d'écoute électronique que la direction des enquêtes antimafia a rendu publics la semaine dernière, en annonçant l'arrestation, à sa luxueuse résidence de Rome, de l'ancien Montréalais Joseph Zappia, 80 ans, impliqué dans le scandale de la construction du Village olympique.

Dans des conversations que la police italienne a interceptées en 2003 et en 2004, et dont La Presse a obtenu des extraits, le vieil homme soutient qu'il dispose au Canada de 5 milliards d'euros- à peu près 8 milliards de dollars canadiens- pour le projet d'érection du pont entre la Sicile et le continent européen.

C'est en mettant bout à bout le contenu d'une série d'appels téléphoniques entre Zappia et des personnes à Montréal que les spécialistes italiens de la lutte contre le blanchiment d'argent affirment avoir obtenu la preuve de l'implication de Vito Rizzuto. " Il est comme Saddam Hussein, si on l'arrête c'est la fin du monde ", a notamment souligné Zappia, en parlant du chef mafieux montréalais.

Un jour, l'homme d'affaires italien a également informé un proche de Rizzuto à Montréal qu'il ne pouvait absolument pas être vu avec ce dernier, sinon sa crédibilité en souffrirait. " Je ne peux risquer d'être vu avec lui. Je ne le connais pas, et je n'ai pas à le connaître ", a-t-il lancé à son interlocuteur.

" L'argent n'est pas un problème "

À une autre occasion, Zappia a indiqué que son plus gros problème n'était pas de rassembler les fonds nécessaires pour la construction du pont, mais de ne pas s'attirer les foudres de la Ndrangheta, principale force mafieuse du sud de l'Italie. " L'argent n'est pas un problème, il s'agit simplement de trouver un équilibre. Il nous faut juste rendre tout le monde heureux en Italie ", a-t-il confié au courtier Filippo Ranieri, 68 ans, soupçonné d'être un intermédiaire de Rizzuto à Montréal.

Outre Zappia, déjà emprisonné en Italie, Rizzuto, Ranieri ainsi que Hakim Hammodi font l'objet de mandats d'arrêt. D'origine algérienne, ce dernier a déjà vécu à Montréal. Il est connu de la police canadienne et voyagerait partout dans le monde pour placer l'argent du narcotrafic. Le nom d'un certain Liberto Parisi, qui a lui aussi déjà habité ici, est également mentionné dans la dénonciation des enquêteurs de la lutte antimafia en Italie.

" Fonds illimités "

" Si toutes ces allégations sont vraies, c'est dire que la mafia montréalaise dispose de fonds illimités, et qu'elle est beaucoup plus puissante qu'on ne le croit. Peut-être même plus que les familles de la Cosa Nostra new-yorkaise, dont les ramifications internationales et la mentalité mondialiste paraissent aujourd'hui moindres que celles des Rizzuto ", a commenté le journaliste de Toronto, Antonio Nicaso, considéré comme un spécialiste de la mafia.

Selon les estimations du gouvernement italien, la construction du pont de Messine, d'une longueur de 3,5 kilomètres, devrait coûter 7,3 milliards de dollars. Il s'agit d'un projet du gouvernement italien en partenariat avec l'entreprise privée- les fameux PPP, comme on les appelle au Canada. Le financement serait fourni à 60 % par des fonds publics et à 40 % par des fonds privés. On prévoit que 100 000 automobilistes pourraient utiliser le pont chaque jour. Le gouvernement et les investisseurs tireraient leurs revenus des frais de péage.

C'est le 9 mars 2004 que Joseph Zappia, qui dirige une entreprise de construction, a manifesté son intérêt à Stretto di Messina, société publique chargée de superviser le projet. Zappia, Rizzuto et les trois autres suspects visés par l'enquête de la police italienne sont soupçonnés d'avoir procédé, en octobre dernier, à une première offre avec une société fictive. Ils auraient investi jusqu'à 6,4 millions de dollars à ce jour dans le projet, a indiqué un officier supérieur de la police.

La Presse, Feb. 18, 2005