Le vendredi 18 août 2006

Vito Rizzuto entreprend son dernier voyage

André Cédilot

La Presse

Après une bataille judiciaire qui a duré 31 mois, le gouvernement américain a finalement obtenu l'extradition du chef mafieux Vito Rizzuto, concernant un triple meurtre commis en 1981 pour le compte de la «famille» Bonanno de New York.

Sitôt connue la décision de la Cour suprême, hier matin, Rizzuto, 60 ans, a été cueilli au complexe pénitentiaire de Sainte-Anne-des-Plaines, puis conduit sous haute escorte par la police de Montréal à l'aéroport Trudeau, où il a été pris en charge par des policiers américains.

Selon un avocat, même s'il s'attendait un jour ou l'autre à devoir plier bagage, le parrain montréalais a paru surpris, voire effondré quand les policiers lui ont passé les menottes pour l'emmener. Il venait tout juste de rencontrer sa femme à l'occasion d'une visite.
Il perçoit son extradition comme un coup de massue.

 

À l'en croire, Rizzuto n'entend pas baisser les bras aussi facilement et se défendra également avec la dernière énergie du côté américain, où il fait face à une accusation de complot de meurtres au profit d'une organisation mafieuse. Il risque 20 ans de prison. Il a comparu dès hier devant un tribunal du district judiciaire de Brooklyn. Avant de l'amener devant le juge, les enquêteurs du FBI ont eu l'occasion de l'interroger.

En sol canadien, Rizzuto et ses avocats ont véritablement épuisé tous les recours juridiques depuis son arrestation, le 20 janvier 2004. Il y a à peine un mois, le puissant mafioso montréalais mettait même tous ses espoirs dans une autre cause d'extradition, l'arrêt Ferras, également soumis à la Cour suprême. Encore là, à sa grande déception, la requête a été rejetée. Le coup d'assommoir est venu hier quand trois juges du plus haut tribunal du pays ont carrément refusé de se pencher sur son dossier.

Mais le plus dur à avaler est d'avoir été dénoncé par ses acolytes de haut rang du clan Bonanno, Joseph Massino et son beau-frère Salvatore Vitale, qu'il croyait d'une loyauté à toute épreuve. L'insulte est d'autant plus grande que Massino est le premier chef de «famille» de la Cosa Nostra américaine à tourner sa veste. À la lecture du dossier d'accusation, les deux caïds new-yorkais ont donné des renseignements très précis sur le triple assassinat pour lequel il sera jugé aux États-Unis.

Non seulement Massino était présent sur les lieux avec Vitale, lors de l'exécution des trois membres du gang dans un club social de Brooklyn, mais c'est lui qui aurait fait appel à Rizzuto et aux deux autres mafiosi canadiens mêlés à l'affaire. Selon une déposition, c'est Rizzuto qui aurait ouvert le feu le premier sur les victimes. Une chicane de pouvoir au sein de la puissante organisation new-yorkaise serait à l'origine de ces meurtres, survenus le 5 mai 1981.

À ce moment, il y avait peu de temps que Vito et son père Nick étaient revenus du Venezuela, où ils ont vécu durant une bonne partie de la guerre qu'ils ont menée à Montréal contre le clan Cotroni. Le conflit, qui a fait une vingtaine de morts ici et en Italie, s'est étiré sur presque six ans. Il a en quelque sorte pris fin avec l'assassinat du chef calabrais Paolo Violi, à Saint-Léonard, en 1978.

C'est ainsi, en association avec leurs compatriotes des «familles» Caruana-Cuntrera, que Rizzuto et son père ont pu, au fil des 30 dernières années, inonder le Canada et les États-Unis de quantités phénoménales d'héroïne, de cocaïne et de haschisch. La richesse de l'organisation menée par Rizutto est telle que des policiers n'hésitent pas à en faire la sixième des «cinq grandes familles» de New York.

Grâce à leurs contacts dans les milieux politiques et d'affaires, Rizzuto et son clan ont aussi su faire prospérer les énormes profits qu'ils tirent de tous leurs rackets - trafic de drogues, paris clandestins, fraudes de toutes sortes, prêts usuraires et blanchiment d'argent.

Dans le milieu, on évalue sa fortune à plus de 160 millions. Il aurait notamment des investissements dans l'immobilier, la restauration et l'environnement, à Montréal, à Toronto, et ailleurs dans le monde,

À son âge, Rizzuto avait tout pour couler la vie «paisible» d'un mafieux retraité, mais la justice américaine en a décidé autrement.

Selon le journaliste Antonio Nicaso, qui a écrit plusieurs livres sur la mafia, son successeur n'aura pas la tâche facile, d'autant plus que la mafia montréalaise traverse une «crise des générations.» C'est-à-dire, selon lui, que les principaux leaders sont tous assez âgés - le père de Vito a 82 ans - cependant que les jeunes n'ont pas l'expérience pour s'attirer le respect des autres membres du clan, ni des autres organisations criminelles locales.

C'est ainsi, depuis l'arrestation de Vito, que trois de ses fidèles alliés regroupés autour de son père ont gardé le cap. Depuis un an, l'un d'eux s'impose davantage «sur le terrain», a souligné l'expert de Toronto. «Le départ de Rizzuto est assurément un dur coup. Plus vite son remplaçant sera connu, mieux ce sera pour l'organisation et même le milieu interlope», a-t-il conclu.

LONGUE ENQUÊTE

5 mai 1981: Vito Rizzuto aurait participé aux meurtres de trois membres influents du clan Bonanno, à New York.

Début des années 2000: les autorités américaines arrêtent et mettent en accusation plusieurs dizaines de membres du clan Bonanno. L'un d'eux, Salvatore Vitale, témoigne contre Rizzuto. Par la suite, trois autres mafiosi ayant accepté de collaborer avec la justice américaine ont contribué à faire inculper Rizzuto.

>15 janvier 2004: un mandat d'arrêt est autorisé contre Vito Rizzuto, pour une demande d'extradition aux États-Unis.

>20 janvier 2004: le présumé chef de la mafia montréalaise est arrêté à sa résidence du quartier Saraguay, dans le nord-ouest de la ville.

>8 avril 2004: le juge Jean-Guy Boilard, de la Cour supérieure, juge suffisante la preuve des autorités américaines.

>8 décembre 2004: après huit mois de réflexion, le ministre canadien de la Justice, Irwin Cotler, autorise l'extradition de Rizzuto aux États-Unis pour qu'il soit jugé pour gangstérisme, complot pour meurtre et meurtre.

>Début 2005: Rizzuto conteste la décision en Cour d'appel du Québec.

>29 novembre 2005: les juges de la Cour d'appel rejettent à l'unanimité les arguments des avocats de Rizzuto et confirment son extradition. Peu après, Rizzuto fait une demande pour être entendu en Cour suprême du Canada.

>16 mars 2006: la Cour suprême rejette la demande d'appel de Rizzuto sur son extradition. Un seul détail technique subsiste, en lien avec la Loi sur l'extradition.

>17 août 2006: Vito Rizzuto perd son ultime recours en Cour suprême et prend le chemin de New York.