Jos Bonanno et la mafia montréalaise

 

André Cédilot / La Presse

Mort d'une crise cardiaque à l'âge de 97 ans, l'ancien parrain new-yorkais Joseph Bonanno a joué un grand rôle dans le développement de la mafia à Montréal.

«Il a été en quelque sorte l'architecte de la mafia montréalaise. Le clan Cotroni a pris de l'importance dans les années 50 en s'associant à la famille Bonanno», a indiqué le journaliste de Toronto Antonio Nicaso, spécialiste nord-américain de la pègre italienne.

Figure dominante de la Cosa Nostra américaine pendant un quart de siècle, Jos Bonanno est mort dans son lit vendredi dernier à son domaine de Tucson, en Arizona. D'après Nicaso, il s'était retiré en 1968 après des embrouilles avec ses acolytes de New York et Buffalo.

Natif de la Sicile, Bonanno a immigré aux États-Unis en 1924 après que son père, lui-même «un homme d'honneur», eut été tué durant la Première Guerre mondiale. À l'instar des gangsters de «l'âge d'or de la mafia», tels Al Capone, Lucky Luciano et Meyers Lansky, entre les années 30 et 60, Bonanno s'est illustré à l'époque de la Prohibition.

Sept ans après s'être joint à Salvatore Maranzano, à l'époque des célèbres «familles» Gambino, Lucchese, Colombo et Genovese, Bonanno s'est hissé à la tête du clan de Brooklyn. «Avec ses 300 hommes, c'était le plus petit gang de New York, mais son influence était grande», relate Nicaso.

Avec six autres chefs de «familles», Bonanno a participé à la fondation de la Commission, chargée de coordonner les activités des divers gangs à New York et ailleurs aux États-Unis et, éventuellement, de régler les litiges. Il est de tous les rackets, jeu, prostitution, prêt usuraire infiltration de syndicats et, plus tard, trafic de drogue.

C'est d'ailleurs ce qui l'incite, au début des années 50, à lorgner du côté de Montréal. Avec l'aide des deux leaders locaux, Vic Cotroni et Luigi Greco, il fait de la métropole la plaque tournante du trafic de l'héroïne entre l'Europe et les États-Unis.

Ce réseau est ni plus ni moins l'ancêtre de la «French Connection», à son apogée à la fin des années 60. L'idée de Bonanno est on ne peut plus juste, la pègre française se plaignant depuis un bon moment de ses rapports tordus avec ses intermédiaires de la mafia new-yorkaise. Elle préfère faire affaire avec les trafiquants comme Lucien Rivard et les frères Cotroni (Giuseppe, Vic et Frank).

Pour ce faire, Bonanno envoie son bras droit, Carmine Galante, à Montréal, en 1953. Avec deux de ses hommes, celui-ci installe son quartier général dans le restaurant The Bonfire, boulevard Décarie.
Il sera expulsé au bout de trois ans par les services de l'immigration, non sans avoir renforcé l'emprise de Bonanno sur le crime organisé local.

La Cupola. En octobre 1957, Bonanno est à la tête d'une délégation de mafiosi américains désireux de mettre fin aux guerres intestines en Sicile. Une trentaine de mafieux de haut rang des deux côtés de l'Atlantique, dont Lucky Luciano et Tommaso Buscetta, devenu plus tard délateur, ont participé à cet importante réunion tenue à l'hôtel des Palmes, en Sicile.

De là naîtra la Cupola, sorte de conseil exécutif, inspiré de la Commission américaine, pour arbitrer les conflits entre les divers clans de la Cosa Nostra, en Sicile. Cette rencontre permet aussi de jeter les bases d'une alliance italo-canadienne qui approvisionnera New York en héroïne.

Cet ambitieux projet donne lieu en novembre 1957 au fameux sommet d'Apalachin, dans l'État de New York. Une soixantaine de haut placés de toutes les «familles» américaines et canadiennes, dont Giuseppe Cotroni et Luigi Greco, sont alors surpris en plein caucus par des policiers de l'endroit.

C'est à ce moment, selon Nicaso, que les relations de Bonanno avec les autres «familles» de la mafia américaine ont commencé à aller mal. Au point où il doit se réfugier à Montréal en 1964. Bonanno et sa femme emménagent alors avenue de Lorimier, dans l'est de la ville.

Avec l'appui de Lino Saputo et de son père Giuseppe, qui dirigeaient alors Saputo Cheese et Crémerie Cosenza, Jos Bonanno demande son statut d'immigrant, mais le gouvernement canadien refuse sa requête et l'expulse.

 À son retour à New York, le célèbre mafioso est dépouillé de ses pouvoirs au sein de la Cosa Nostra. Il prend ensuite la direction de Tucson, en Arizona, d'où il continuera de gérer ses propres entreprises.
Son fils Salvatore Bill Bonanno prend la relève à
New York, mais il est écarté assez rapidement. Le gang compte près de 500 membres. Le clan Bonanno a alors des liens étroits avec le syndicat des Teamsters, cependant qu'il a une influence, directe ou indirecte, dans la construction, les aéroports et la collecte des déchets.
Durant toutes ces années, Jos Bonanno n'a été inculpé qu'une seule fois pour entrave à la justice. Selon des agences de presse, il a tenté d'intervenir dans une enquête fédérale sur les activités de son fils Salvatore.

Mercredi 15 mai 2002